Victoire ferma son livre d’un coup sec. Elle ne voulait plus jamais entendre parler d’Euler et de ses compatriotes sinon, elle allait se transformer en calculatrice géante. La blonde soupira, s’étira longuement comme un petit chat et passa une main sur son visage fatigué. Elle étudiait depuis le début de la matinée et son cerveau refusait d’apprendre la moindre bribe supplémentaire. La blonde se leva souplement, monta quatre à quatre les marches menant au dortoir et attrapa le tas d’habits préparés sur le lit puis fila dans la salle de bain. Elle n’avait qu’une envie : se glisser sous l’eau chaude et laisser les logarithmes filer dans le siphon. Vic’ alluma l’eau avant de se déshabiller et de se glisser sous le jet. Elle passa un bon moment sous l’eau avant de se décider à sortir de son paradis brumeux.

Enroulée dans une large serviette de douche, la jeune femme sécha ses cheveux d’un coup de baguette (que la magie est pratique, tout de même !), enfila ses vêtements et sortit de la salle de bain en chaussant ses bottines. Elle avait rendez-vous avec Lorcan et elle était déjà en retard. Enfilant son manteau d’une main, elle attrapa son mascara et posa rapidement une couche noire sur ses cils. Puis, en entourant son écharpe autour de son cou, elle attrapa son baume à lèvre et descendit dans la salle commune. Une ambiance joyeuse régnait dans la pièce et la plupart des Gryffondors présent avait un chapeau fantaisiste ou une bestiole bizarre qui leur chantait sur l’épaule. Levant les yeux au ciel après qu’Albus lui ait tiré la langue, la jeune fille poussa le portrait de la Grosse Dame et se précipita dans les escaliers en entendant les hurlements d’outrance de la peinture. Ce qu’elle pouvait être casse-baguette, celle-là…

Arrivée dans le Hall, Victoire ralentit sa course et reprit son souffle. Lorsqu’elle passa la porte, le froid mordit ses joues et le bout de son nez. Elle cacha comme elle put les moindres parcelles de sa peau en appliquant le baume sur ses lèvres mais savait parfaitement que ses joues seraient rouges et que Lorcan devrait faire avec. Depuis quelques temps, Scamander s’était mis à la photographie et avait demandé à Victoire d’être son mannequin. La jeune fille avait accepté, autant par jeu que par plaisir. Elle avait toujours été intriguée par le monde du mannequinat et de la photo et voilà que grâce à Lorcan, elle pouvait le découvrir, au moins un peu. Victoire glissa ses mains dans ses poches et vérifia que ses bottines étaient bien attachées avant de poser les pieds dans la pente du talus pour se laisser glisser jusqu’au bas. Là, Lorcan l’attendait, vêtu d’un manteau noir au col relevé. Le garçon lui rappelait un peu un mercenaire, habillé de cette façon, mais un mercenaire classe et sympa.

Salut. Désolé, il fait froid ce matin. Tu vas bien, Mlle Weasley?

Salut Lorcan, ça va bien et toi ? Il fait froid mais c’est tellement beau de voir l’herbe gelée par le givre, tu ne trouves pas ?

Victoire lança un clin d’œil à son ami et avança de quelques pas, faisant craquer ladite herbe sous ses talons.

Tu as reparlé avec Lys, ces derniers temps? Z'êtes ensemble? Vous faites quoi, en fait?

Vic’ se stoppa un quart de seconde avant de reprendre sa route comme si de rien n’était. Non, elle n’avait pas reparlé à Lysander depuis qu’elle avait débarqué chez les Scamander, avait passé la nuit avec Lysander, avait fêté l’anniversaire des jumeaux puis était repartie chez elle. Ils n’en avaient jamais reparlé. Non, ils n’avaient jamais reparlé tout court, en fait. Victoire se rendit compte qu’elle n’avait pas répondu à Lorcan et décida de rester évasive même si elle savait parfaitement qu’il était au courant de tout. Après tout, les deux blonds étaient jumeaux.

J’en sais rien, demande-lui peut-être qu’il te répondra, à toi.

La blonde n’avait pas prévu d’être aussi mordante et elle passa sa langue sur ses lèvres pour cacher son inconfort.

Bon, qu’est-ce que tu voulais prendre comme cliché ? Des idées ?

C’est bien connu, quand un sujet nous dérange, on fait tout pour ne pas en parler. Mais bizarrement, ce sujet vous revient toujours dans la figure.

J’aimerais bien, mais il ne m’en parle pas plus

Victoire haussa un sourcil, délicatement comme à son habitude, mais n’ajouta rien. Comme ça, Lysander faisait des cachotteries à son jumeau ? La jeune fille changea totalement de sujet car non, elle ne voulait pas parler de Lys, encore moins y penser ou penser à y penser. L’éternel sourire était de retour sur les lèvres de son blond préféré et cela remit un peu de joie dans le cœur de Vic. Tout n’avait pas été rose, ces derniers temps, et faire un peu la folle lui ferait le plus grand bien. Et faire des clichés pour Lorcan était une bonne solution.

Mais oh, sois pas si pressée ! Nan, plus sérieusement, oui, je voudrais tenter un truc, je t’en avais déjà parler. Je prends des photos, je les envois à une boite et on voit si c’est concluant. Enfin, perso, je suis pas motivé pour la paperasse.

Victoire hocha la tête tout en réfléchissant. Envoyer les photos à une agence, ça voulait aussi dire recevoir de l’argent et apparaitre dans les journaux, suivant les contrats… Elle ne savait pas vraiment si cela lui plaisait mais Lorcan avait l’air motivé et elle était de bonne humeur, avait envie de faire plaisir à son petit Lion.

Je peux toujours m’occuper de la paperasse, si tu veux. Et au pire, on demande à un « adulte » de le faire pour nous. Mais oui, on peut toujours tester. Qui ne tente rien n’a rien, n’est-ce pas ?

Vic tira la langue à son ami car non, décidément, elle n’aimait pas les phrases toutes faites. Mais elles pouvaient se révéler très utiles ! Lorcan la dévisageait depuis un petit moment et, pour le faire parler, la blonde haussa un sourcil dans sa direction.

Je voulais aussi te montrer un truc. Dit Lorcan en tendant à la jeune fille son appareil ultra compliqué. Regarde cette photo.

La photo était celle d’un article de journal, certainement très vieux, et Victoire prit le temps de le lire. Elle ne savait pas vraiment pourquoi Lorcan lui montrait ça maintenant mais avec les jumeaux cinglés, il fallait s’attendre à tout et à tout moment. La jeune fille ne comprenait pas exactement de quoi parlait l’article, si ce n’est qu’un homme avait apparemment utilisé une chose dans le Ministère pour tester ses limites. Une fois la lecture terminée, la blonde leva un regard interrogatif sur son ami.

Je me suis renseigné. Hyppocris n’a jamais été entendu. Le procès n’a pas eu lieu, échange de bon procédés, tu t’en doutes. Qu’en déduit t’on, si ce n’est qu’il porte bien son nom ? Ah, ça me fait penser que j’avais ça, aussi.

Victoire était presque perdue et ne voyait pas du tout où Lorcan voulait en venir. Un hypocrite qui porte bien son nom, un article de journal… Ah, et un cahier. De runes, apparemment. Lorcan l’ouvrit fébrilement et en sortit un morceau de parchemin. Le blond tendit le papier à Victoire qui l’attrapa et lu les quelques mots qui s’y trouvait. Ecriture fine et soignée, précise.

Tant pis pour le 31 octobre, on recommencera une prochaine fois ?

Le visage de la vélane changea de couleur. Sa peau devint encore plus pâle et elle sentit son souffle se couper, l’espace d’un instant. Le 31 octobre ? Le bal d’Halloween… Ils voulaient recommencer… Elle pensa à sa petite sœur, à l’infirmerie. Aux morts, aux blessés. Non, ils ne pouvaient pas recommencer. C’était… Impossible. La blonde leva un regard vide vers Lorcan pendant que celui-ci replaçait une mèche derrière son oreille.

J’ai effectué toutes sortes d’analyse sur ce truc. Sortilège de désillusion, bougie pour voir si il y avait une réponse au citron, révélateur… bref, tout ce que j’ai découvert, c’est que c’était un homme, adulte qui l’avait écrit, et qu’elle n’a été lue que par moi, au final. C’est d’autant plus étrange quand on sait que je l’ai trouvé sous une table, à la bibliothèque. Donc, j’pense que c’est un adulte à l’intérieur de Poudlard. Je ne peux pas te dire qui, mais j’enquête là dessus. Donc… si tu vois des trucs bizarre… tu m’informes ?

Bien sûr que je te tiens au courant, si j’entends quoi que ce soit… Ils vont remettre ça, tu penses ? Tu en as informé quelqu’un de l’Ordre ?

Victoire savait bien que Lorcan n’avait prévenu personne d’autre. Il était de nature suspicieuse et le simple fait qu’il lui ait montré ce morceau de parchemin prouvait qu’il lui faisait suffisamment confiance. Elle écoutait souvent les conversations, dans les couloirs, comme toutes les filles. Si jamais la moindre information lui parvenait, elle en ferait part à Lorcan.

En fait, la séance de photographie n’était qu’une excuse pour que tu me parles sans trop de risque, n’est-ce pas ?

Un pâle sourire tira les lèvres de la blonde et elle s’assit sur le sol, replaçant une mèche rebelle derrière son oreille. Elle se maudit intérieurement de ne pas avoir pensé à prendre un bonnet ou même un élastique pour attacher cette masse de cheveux qui commençait fortement à l’énerver.
Le sol était certes froid et inconfortable mais la jeune fille, qui n’avait rien mangé de la journée, n’était pas au mieux de sa forme et la force commençait à lui manquer. Elle savait aussi que si Lorcan le remarquait, il allait la tuer. Ou lui passer un savon, en tout cas. Après un instant de silence, Victoire leva les yeux vers son camarade et posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis des semaines.

Il va bien ?

En fait, la séance de photographie n'était qu'une excuse pour que tu me parles sans trop de risque, n'est-ce pas ?

Victoire regarda le jeune homme replacer une mèche derrière son oreille et commencer à valser dans un ensemble de pas plus que familier. Un sourire tira les lèvres de la blonde lorsqu’elle remarqua que les yeux de Lorcan, si expressifs, lui fournissait toutes les réponses dont elle avait besoin. Effectivement, l’excuse était parfaite. Déjà que personne ne pouvait penser que Lorcan, sang pur et fils de famille connue, puisse s’adonner à des pratiques moldues de cet acabit alors qu’il puisse concocter un plan pareil juste pour fournir des informations à une vélane.

La jeune fille ne sut pas pourquoi Lorcan s’arrêta d’un seul coup mais lorsqu’il leva son appareil photo et que le flash crépita, elle ne bougea pas et resta immobile. Pourquoi prendre une photo maintenant ? Pourquoi sans la prévenir ? Que voulait-il immortaliser ? Victoire commençait à se douter de quelque chose quand le blond lança une phrase innocente mais pleine de sens.

Demande le lui.

La jeune fille se figea, son souffle se coupa et elle jeta un regard perdu et noir à Lorcan. Elle ne voulait pas, ne pouvait pas y croire. Il ne pouvait pas… Non, c’était purement impossible. Elle l’aurait entendu ! Victoire essayait de se persuader qu’elle l’aurait senti arriver mais savait parfaitement que si les jumeaux voulaient être discrets, ils pouvaient l’être plus que facilement. Ça semblait être un don chez eux, de passer inaperçus quand il le fallait. Elle tendit légèrement la main en arrière et sentit le tissu d’un jean contre le bout de son doigt. Elle se rendit compte d’un souffle dans sa nuque et ferma les yeux une fraction de seconde. Elle n’était pas prête à l’affronter, pas maintenant, pas comme ça… Son corps se mit légèrement à trembler mais elle prit une grande inspiration et se força à se détendre.

Lorcan, tu veux bien…

Je me casse

Victoire lança un regard suppliant à Lorcan mais celui-ci ne bougea même pas. Il les regardait, les dévisageait et semblait même les étudier. Finalement, la vélane préférait qu’il parte. Si c’était pour rester statique et les fixer comme des animaux en cage… D’un côté il voulait qu’il arrête de les regarder comme ça et donc qu’il parte et de l’autre, s’il partait, cela voulait dire qu’elle allait se retrouver seule avec son… son… son quoi d’ailleurs ? Cela n’était absolument pas clair entre eux… Avec Lysander, pour faire simple. Dilemme cornélien, quand tu nous tiens… Ô dieu, comme une cigarette ou un verre d’alcool aurait été le bienvenu…

Vic chérie, tu nous a dit la prochaine fois que nous le payeront, dès qu'on se retrouverait. Tu sais, au bord du Lac ?

Le corps de la blonde se crispa entièrement aux souvenirs qui affluaient. Les phrases blessantes et mordantes, froides, sans sentiment. Les flammes, les insultes, les sorts, les blessures. Ça aurait pu finir en bain de sang, oui. Mais le destin en avait décidé autrement et Victoire se demandait comment elle avait pu vouloir ressembler à Angela, cette peste… Froide, vicieuse, sans sentiment, mordante, méchante gratuitement, sadique… Oui, la blonde pouvait très facilement être comme la Serpentard mais ne le voulait pas, ne le voulait plus. Elle n’était même pas certaine de vouloir encore une vengeance. Oui, Lysander l’avait monstrueusement blessé, autant physiquement que mentalement. Mais après tout, ils avaient seize et dix-sept ans, ils devaient réfléchir et agir en conséquence… Non ? Non. La vengeance brûlait dans le ventre de la blonde à chaque fois qu’elle allait à la douche et qu’elle voyait cette cicatrice qui jamais ne disparaitrait, qu’elle se pliait de douleur lors d’un exercice trop poussé en cours ou qu’elle dansait jusqu’à s’en éclater les pieds et que la douleur revenait comme au premier jour.

Elle regarda Lorcan partir dans un mouvement dansant et libre et se força à détendre au moins les muscles de ses mains car, sous la pression, ses ongles lui rentraient dans la paume des mains. Sa respiration était sifflante mais calme et son ventre commençait à se tordre de douleur à cause de la peur que lui donnait la présence de Lysander dans son dos. Elle se leva, avança de quelques pas, s’arrêta, regarda le sol et replaça une mèche de cheveux dans son bonnet avant de le retirer violemment et de laisser sa masse blonde tomber en cascade dans son dos et sur son front. Dans un mouvement lent, elle se retourna et planta son regard dans celui de Lysander.

Salut… Tu fais quoi ici ?

Question stupide… Victoire se mordit la lèvre inférieure et sans même qu’elle s’en rende compte, son charme de vélane s’activa. L’image que dût recevoir Lysander devait être plus qu’envoutante mais la jeune fille ne contrôlait plus son « don ». Et ne voulait pas avoir à le contrôler en sa présence. Elle se gifla mentalement : que voulait dire cette phrase, encore ?! Stupide blonde… Vengeance, rappelle-toi, vengeance… Ou peut-être pas…